mardi 18 octobre 2016

I'm free

                               


Ca fait plus d'un an que je ne suis pas venir écrire ici. Je pense que la vie a pris le dessus. Le tourbillon, comme on dit si bien...
Ce n'est pas faux.
Beaucoup de choses ont changé chez nous.
Mais la chose primordiale, qu'il faut que je dise avant tout, c'est que Moune a bien eu son bac en juin 2015.
Quel soulagement... quel bonheur...
J'ai tellement "rêvé" ce moment. Je le voyais comme un défi, un aboutissement... une délivrance.
Il fallait que toutes ces années de scolarité, où Moune a dû jouer le rôle de la "normalité", soient récompensées. Qu'elle n'ait pas subi tout cela pour rien. Qu'elle puisse avoir ce fameux bac en poche et souffler... enfin...
Je ne vous le cache pas. Ce ne fut pas sans mal.
Moune avait choisi une filière S-SVT... depuis son entrée au lycée, en seconde, on avait mis en place un PPS (plan personnalisé de scolarité). Cela lui permettait de disposer en classe d'un ordinateur portable, un netbook, pour prendre ses cours. D'être dispensée de sport. De bénéficier d'un tiers temps pour les épreuves écrites. De ne pas être interrogée oralement devant tous les élèves mais en aparté. Ce dernier point n'a pas été respecté par tous les profs. En seconde, Moune est revenue d'un cours d'espagnol complètement chamboulée. La prof lui avait imposé de travailler oralement en binôme. Comme elle ne prenait pas la parole, elle lui a demandé d'arrêter son cinéma. Que ça commençait à bien faire. Et elle criait. Sortait de ses gonds. On aurait dit que cette enseignante avait passé une sale journée et avait trouvé la personne la plus inoffensive possible pour passer ses nerfs. C'était si facile de s'en prendre à une jeune fille qui pense être reconnue en tant qu'autiste dans l'enceinte de l'établissement... qui ne comprend pas pourquoi elle doit travailler avec un autre élève à qui elle ne peut pas adresser la parole... qui perd donc ses moyens... qui a les larmes aux yeux... et qui rentre tremblante à la maison...
J'ai demandé des explications au proviseur.
J'ai demandé à rencontrer l'enseignante.
Elle n'a pas voulu.
Elle a laissé Moune dans un coin tout le restant de l'année scolaire.
J'ai pris sur moi. Je ne peux dialoguer qu'avec des personnes aptes à le faire.
Elle ne l'était pas.
En première, il y a eu le bac blanc oral de français...
Même schéma. Toute l'équipe enseignante avait connaissance du PPS dès le mois d'octobre. En avril, j'avais envoyé un mail à la prof de français qui avait en charge la première de Moune... une semaine avant l'épreuve orale... pour m'assurer qu'elle avait donné la consigne à sa collègue qui allait interroger Moune. Tout était bon.
L'épreuve orale a été catastrophique.
La prof lui a mis 5. Lui a dit qu'elle était bien gentille vu son attitude. Que le stress, ça se gère. Que c'est n'importe quoi. Qu'elle aura tout vu dans sa carrière.
Faut croire qu'elle n'avait jamais vu une personne atteinte du syndrôme d'Asperger.
Je peux le comprendre.
Mais elle avait un dossier médical où tout était expliqué dedans, transmis par sa collègue.
Enfin, transmis... c'était à se demander si ça avait été fait.
J'ai appelé le lycée pour comprendre ce "loupé".
Il fallait voir avec la prof qui avait dû transmettre les consignes à cette collègue sur la façon d'aborder ma "bizarre" de fille.
J'ai donc envoyé un mail interrogatif à cette personne chargée de passer la consigne. Pour m'assurer qu'elle l'avait bien fait.
Elle m'a dit qu'elle n'avait pas que ça à faire. Qu'elle n'était pas formée pour encadrer une élève comme ma fille. Qu'elle défendait l'attitude de sa collègue qui avait fait passer l'oral blanc à Moune.Que je ne devais pas m'attendre à ce qu'elle n'aille pas dans son sens vis à vis de Moune.
C'était cinglant. Dédaigneux.
J'ai répondu que je comprenais que les enseignants ne soient pas formés pour "ça". Mais que je pensais que le savoir-vivre et l'humanité ne s'apprenaient dans aucune formation. Qu'on l'avait juste en soi.
Elle n'a plus jamais répondu à aucun mail de ma part par la suite.
Même quand elle a eu Zoé, l'année dernière en première littéraire.
Il a fallu que je lui écrive un mail pour appuyer le refus de Zoé de participer au voyage scolaire en Italie. Je n'ai eu aucune réponse.
J'étais invisible. Insignifiante.
Comme l'était Moune à ses yeux.
En terminale, les choses se sont mieux passées durant l'année scolaire. J'ai dû juste me déplacer à la vie scolaire dès la rentrée.. pour signaler que Moune était toujours dispensée de sport. Et qu'elle n'irait pas au premier cours pour expliquer elle-même la raison de sa dispense au professeur, puisque son PPS le spécifiait. Et ce depuis trois ans. Ca n'a pas plu au CPE. Il fulminait devant moi. Et insistait sur le fait que Moune devait quand même aller passer deux heures sur un banc à regarder les autres faire du sport juste pour dire de vive voix qu'elle était dispensée de cette matière. Comme ça, le professeur jugera lui-même de l'authenticité de ses propos. L'évaluera. A vue d'oeil.
J'ai trouvé ça ridicule et j'ai dit qu'elle n'irait pas.
Que j'allais porter moi-même ce papier de dispense au professeur de sport , lui expliquer, et repartir.
Le CPE n'était pas d'accord. Je n'avais pas le droit de faire ça moi-même.
Que Moune pouvait faire un effort cette année.
Ce qui sous-entendait qu'elle y mettait de la mauvaise volonté.
Et que c'était à eux d'en juger.
Ce à quoi je lui ai demandé si Moune aurait besoin d'aller montrer la "validité" de son handicap à un professeur de sport, si elle était en fauteuil roulant?
Il m'a dit que ça n'avait rien à voir.
Ce à quoi j'ai répondu "Si, justement"
Et je suis allée voir moi-même le professeur de sport. Contre l'avis du CPE.
Avec Moune.
C'était une enseignante. Elle est venue de suite vers moi.
Elle m'a dit qu'elle connaissait Moune. Qu'elle savait pour son syndrôme d'Asperger. Qu'elle s'était documentée sur ce handicap. Qu'elle me remerciait de venir la voir directement mais que je n'en avais pas besoin. Que c'était gentil.
J'étais tellement contente de voir une personne aussi compréhensive en face de moi que je lui ai dit que j'appréciais vraiment tout ce qu'elle me disait. Que c'était rare d'entendre ça. Que c'était formidable. Qu'elle m'avait redonné le sourire.
Ca fait tellement de bien de tomber sur des personnes tolérantes, sensibles.
Mais ce bien-être fut de courte durée.
Le "vrai" bac est arrivé. Le lycée où les épreuves avaient lieu était de l'autre côté de notre ville. La plupart des élèves devaient prendre un bus et deux trams pour y accéder depuis notre banlieue bordelaise. Et pouvaient le gérer. Mais pas Moune. Mon mari a dû aménager son temps de travail pour l'amener. Aller manger avec elle le midi dans un mac do voisin ou un dans parc pour un pique-nique au calme... Moune était pleine de bonne volonté pour s'adapter aux nouveaux locaux, chercher les salles de cours... mais heureusement que son père l'accompagnait car il y a eu un souci d'ordinateur, et de clé USB... pour le déroulement des épreuves... et les suivantes... du coup il fallait à chaque fois aller vider la clé avec un enseignant, ailleurs, pour s'en resservir ensuite... bref c'était un stress supplémentaire... mais elle a pris sur elle. On était scotché. Fier d'elle. Toujours.
Seule l'épreuve de maths ne nécessitait pas d'ordi.
Les programmes pour un bon rendu graphique dans une telle matière étaient trop chers.
Donc elle faisait l'épreuve sur papier, comme n'importe quel élève.
Et bien sûr, le correcteur n'avait aucun moyen de connaître son handicap.
Moune est dyspraxique. Comme beaucoup de grands prématurés. Et comme beaucoup d'asperger aussi.
Le jour des résultats, nous avons choisi de les regarder sur internet.
Moune avait peur mais malgré tout elle était confiante. Elle avait estimé que ça pouvait passer.De justesse.
Julie a regardé pour nous. J'étais trop pétrifiée. Mon mari était serein, en apparence. Comme Zoé.
Rattrapage.
L'horreur. Le gouffre qui s'ouvre sous les pieds de Moune. Sous les miens.
Cela voulait dire affronter un inconnu à l'oral qui ignore son handicap.
Parler.
Regarder dans les yeux.
Respirer.
...
Nous sommes partis tous les trois au lycée, loin. Le trajet fut long mais je n'arrêtais pas de dire à Moune que ça allait s'arranger. Qu'elle aurait son bac. Elle était solide, silencieuse.
Nous avons eu le bulletin de notes.
2 en maths.
Avec un tel coefficient, en S, ça expliquait tout.
Moune a pleuré. Effondrée. Perdue.
J'ai pleuré aussi, de colère.
Mon mari était silencieux.
Beaucoup de parents et d'élèves grouillaient autour de nous. certains heureux, d'autres déçus. Mais sûrement pas dans notre état de désespoir. Ca ne pouvait pas être insurmontable à ce point, lisait-on dans leurs yeux...
Mais on était dans notre bulle.
Un prof est venu vers moi. Interpellé sans doute. Ou surpris de voir trois paumés dans le hall pour qui la terre avait cessé de tourner.
J'ai expliqué. En vrac. Avec plein d'émotion. Que ce 2 était dû au fait que la copie devait être illisible. Bâclée. Bizarre. Incompréhensible. Pas digne d'être décryptée.
Que le correcteur n'avait pas pris en compte le handicap.
Forçément. Rien ne permettait de le savoir.
Que j'avais alerté l'éducation nationale sur ce point, en avril, deux mois avant le bac.
Comme quoi il fallait un indice, quelque chose qui fasse que le correcteur soit indulgent avec le soin, la maladresse, et le manque d'habitude de travailler sans ordinateur depuis trois ans.
J'avais eu comme réponse que rien ne pouvait être fait pour signaler le handicap de Moune sur cette épreuve. Vis à vis du correcteur. Que sa copie serait parmi toutes les autres. Parmi les "normales".
Que je devais arrêter de voir les enseignants comme des monstres sans coeur.
Que bien sûr ce correcteur prendrait le temps de déchiffrer, de comprendre, le raisonnement fouillis de ma fille.
Et noterait en conséquence.
Blablabla.
Le proviseur du lycée est arrivé derrière nous. Et il m'a dit de sortir du hall et de venir lui redire tout ça dans son bureau.
J'ai tout répété.
J'ai dit que Moune allait avoir beaucoup de mal à faire cette épreuve orale de rattrapage.
Que c'était injuste.
Que le jury qu'elle allait affronter devait savoir pour son syndrôme d'Asperger.
Sinon elle allait se reprendre un 2.
Il m'a dit que c'était impossible de les prévenir.
Interdit.
Vis à vis des autres... elle bénéficierait d'un traitement de faveur.
C'était déloyal.
Je lui ai dit qu'il n'y a pas de texte de loi là-dessus.  Sur les conditions de déroulement d'un oral de bac pour un asperger.
Je lui ai dit que la France traitait mal les autistes.
Que la scolarité toute entière de Moune avait été un combat. Un acharnement. Un défi.
Que son bac, elle avait les capacités de l'avoir, tellement...
Que j'allais donner un mot à ma fille avec un petit texte pour décrire son syndrôme... pour qu'elle le donne au jury en arrivant. Juste pour qu'elle soit acceptée telle qu'elle est. Et notée en considérant sa singularité.
Le proviseur m'a interdit de le faire.
Il a dit que la CPE serait là au début de l'épreuve de Moune. Qu'elle l'accompagnerait vers le jury et leur dirait elle-même qu'elle est autiste.
C'est tout ce qu'il pouvait faire.
J'ai rencontré la CPE. Elle m'a dit "Comptez sur moi".
Le jour de l'épreuve de rattrapage. La CPE n'a jamais pointé son nez...
Mon mari était avec Moune, à attendre dans le couloir... seul.
Il a choisi de parler avec elle de ses passions pour la détendre. Pour détourner son stress.
Elle avait un mot glissé dans sa poche. Rédigé par mes soins, à l'ordi.
quand on l'a appelée, il lui a dit "donne-le". Ca va aller Moune...
Le mot disait :
"Bonjour, je suis atteinte du syndrôme d'asperger. Je vais faire de mon mieux pour réussir cette épreuve. Je vous demande de m'excuser si j'ai une voix monocorde, un regard fuyant. Je vous remercie pour votre compréhension."
Et au dos j'avais imprimé en 5 lignes les caractéristiques majeures du syndrôme d'Asperger.
Elle l'a donné à une des deux personnes en arrivant dans la salle de cours.
Elle a comblé tous ses points de retard.
Une démonstration détaillée et maîtrisée. Du rarement vu.
Le jury a été conquis.
Moune a vu tous ses efforts récompensés.
Son courage, son acharnement, son travail...
Durant toutes ses années d'école...
J'aurais été si en colère qu'elle ne l'ait pas.
J'aurais tapé à toutes les portes.
J'aurais dénoncé ce système absurde...
J'aurais rien lâché...
Mais elle a donné le meilleur d'elle-même.
Comme toujours.
Nous sommes allés à la pizzeria de son choix pour fêter ça.
Mais deux jours avant. Le jour où on a su qu'elle n'avait pas son bac.
Parce qu'on avait prévu ce soir-là d'y aller.
On avait dit "le jour des résultats du bac".
Et pour Moune, c'était celui des résultats donnés sur le net.
Pas quand elle l'a eu "vraiment". Deux jours après.
Donc on a rien changé.
On a trinqué quand même. Sans savoir si elle l'avait.
Moune est comme ça.
Quand les choses sont prévues, on applique ce qui a été dit.
Toujours.

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